Digitalisation de l’entreprise : quelle influence sur le rôle du dirigeant (1/3) ?
La digitalisation de la sphère économique transforme durablement et en profondeur les modes de travail des organisations. Les transformations technologiques, avec le phénomène du Big Data, l’apparition de nouveaux outils basés sur l’Intelligence Artificielle, le développement de l’usage des objets connectés, la digitalisation concourent à modifier substantiellement tous les processus métiers de l’entreprise.
Aucune fonction n’est épargnée, notamment pas le dirigeant, dont le rôle est tout à la fois de décider, de pourvoir à l’information et de communiquer dans et à l’extérieur de l’organisation mais aussi de conduire et d’animer ses équipes.
Ce premier article s’inscrit dans une démarche de compréhension de la construction d’une nouvelle identité managériale du chef d’entreprise à travers la contribution des nouvelles technologies digitales dans l’organisation du travail. L’offre technologique digitale influence-t-elle le processus de décision du dirigeant d’entreprise et son attitude envers le risque ?
Si le décideur est responsable de choix il est également gestionnaire du risque. L’influence de la digitalisation sur la prise de décision du dirigeant se distingue selon qu’elle soit opérationnelle ou stratégique.
Un gain de temps au quotidien pour une meilleure réflexion
Pour le chef d’entreprise : « Les journées ne font que 24 h. Le temps est crucial pour la prise de bonnes décisions et les diffuser le plus rapidement pour action ».
Les bénéfices de la dématérialisation sont évidents.
C’est en premier lieu, réduire le temps destiné aux tâches du quotidien, aussi bien pour l’ensemble des collaborateurs que pour l’équipe dirigeante, continuellement sollicitée par des réunions et des process administratifs. Plus ces derniers sont simples et lisibles, plus la prise de décision s’appuie sur des informations précises et à jour, plus la marge d’erreur faible.
C’est ensuite mieux comprendre son marché. Les nombreux outils digitaux facilitent la veille précise du marché et des concurrents (Data-analyse, veille presse, …). Citons le data-driven marketing qui permet de mieux appréhender les évolutions parfois très rapides du marché, d’écouter les besoins des consommateurs mais également les actions menées par ses concurrents afin de s’en inspirer pour mieux s’en différencier.
Pour le chef d’entreprise, le numérique, c’est du concret. Sa vitesse à réagir aux demandes du marché a augmenté en moyenne de 33%, tandis que son temps de prise de décision a baissé de 32%.
C’est surtout, mieux réfléchir pour établir une bonne stratégie et avoir un bon leadership. Il est nécessaire de prendre du recul, de prendre le temps de réfléchir. Une mauvaise décision aura des répercussions directes sur le business de son entreprise et sur la motivation de ses collaborateurs. Ce processus de réflexion n’est possible seulement que si les dirigeants ne sont pas absorbés par le « daily business ».
Le digital permet également d’améliorer le « travailler ensemble », pour mieux collecter et mutualiser les idées et ainsi faciliter la prise de décision.
Pour les dirigeants, le challenge est là : savoir dépasser les problèmes du quotidien pour acquérir une vision macroéconomique de l’entreprise, retrouver le temps de réfléchir à leur stratégie pour prendre les décisions les plus adéquates et mieux communiquer avec ses équipes. En cela, la digitalisation est capitale. Malgré tout, de nombreux chefs d’entreprise restent encore prudents face à cette transformation qu’ils connaissent mal.
Une stratégie digitale difficile à formuler
La stratégie digitale est omniprésente dès qu’il est question de performance et de croissance de l’entreprise. La mesure de la performance du digital a d’abord une dimension économique. Cette technologie permet de répondre aux enjeux de productivité, de qualité et d’homogénéité du service rendu au client interne. Les nouvelles technologies numériques portent des changements et des opportunités considérables.
Selon des chefs d’entreprise rencontrés : « La digitalisation est une opportunité pas un risque » ou encore « Il faut vivre avec son temps, ne pas résister. Le dirigeant doit être connecté à la réalité ».
Mais l’exécution de la stratégie digitale s’est fortement « technicisée », avec l’arrivée des cloud hybrides, de la blockchain, des data lakes,… La révolution digitale introduit des problèmes de formulation et de relation entre le dirigeant et ses équipes, mais aussi entre le dirigeant et toutes les parties prenantes. Comment le dirigeant peut-il donner ses recommandations en termes d’exécution lorsqu’il a conscience qu’il n’appréhende pas tous les effets de ses décisions ?
Hormis pour les créateurs d’entreprise, on dit qu’il faut 20 ans pour former un bon dirigeant. Cela signifie qu’en moyenne, les patrons en activité ont commencé à exercer avant l’arrivée de ces techniques.
D’autres dirigeants se montrent plus circonspects : « Comment voulez-vous faire pour formuler une stratégie et en définir une exécution précise et efficace si l’une des facettes de l’exécution est soumise à une évolution si rapide ? Et c’est le cas pour toutes les fonctions de l’entreprise ».
« On ne travaille plus aujourd’hui comme il y a 15 ans. On ne manage donc plus aujourd’hui comme il y a 15 ans. On ne construit donc plus une stratégie comme avant. » d’après un dirigeant de PME.
Comment faire ? Si le dirigeant dispose d’une plus grande latitude opérationnelle, ses options stratégiques sont récentes et impliquent des compétences nouvelles et des prises de risque inédites. Il n’a donc ni le recul, ni l’expérience. Le risque perçu est considérable, et il est toujours à relier avec la solitude du dirigeant. Et les tensions que ces évolutions numériques impliquent, génèrent des émotions pour le dirigeant qui sont du registre de la solitude, de l’angoisse et du doute. Cette interprétation est un élément d’explication de la prudence voire du danger perçu par le dirigeant à engager une transformation profonde de son entreprise.
Synthèse
En synthèse, si les chefs d’entreprises répondants reconnaissent le rôle des solutions numériques pour améliorer la prise de décision opérationnelle, ils restent cependant plus prudents face à la perspective de développer des projets de transformation profonde de leurs organisations incluant les technologies digitales en raison de la complexité de sujet et de leur absence d’expérience en la matière.
Par ailleurs, en fonction de leur secteur d’activité, toutes les entreprises n’ont pas les mêmes intentions quant à l’évolution de leurs processus de prise de décision. Les PME de taille plus modeste, apparaissent plus conservatrices que les autres, tant en termes d’évolution observée de leur processus de décision que d’évolution souhaitée.
Considérant que les dirigeants interrogés continuent de passer un temps significatif pour « créer les conditions pour durer (…) il faut faire plus vite, mieux, moins cher » et la quantité exponentielle de données numériques à traiter, il est essentiel que ces dirigeants soient accompagnés par des professionnels expérimentés dans leurs processus de prise de décisions, essayant de travailler en étant davantage orientés vers le futur que simplement sur le reporting de la performance passée.
Cet article s’appuie sur les travaux de recherche menés dans le cadre de la soutenance de mémoire de Master AE 2017-2019 consacré à « L’influence de la digitalisation sur le rôle du dirigeant de PME ».
Philippe GOISNARD
Dirigeant associé | Metz
5V consulting
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